Je suis entrée au laboratoire de géophysique appliquée
en Septembre 1954. J'y suis restée jusqu'à la mort de Louis Cagniard
(et même après, jusqu'à ma retraite en 1991). J'ai donc côtoyé Louis
Cagniard pendant 17 ans, et l'on ne se côtoie pas pendant tant d'années
sans apprendre à se connaître. De plus, après le décès de Louis Cagniard,
je me suis occupée de Melle Aurore Tardieu, sa gouvernante, qu'il avait
embauchée pour sa femme lors de sa terrible maladie et qu'il a conservée
ensuite. Elle m'a appris bien des choses sur lui. Je ne parlerai pas
des grandes qualités scientifiques de L. Cagniard, que tous vous connaissez,
mais de son côté humain, celui qui m'a le plus rapprochée de lui. Il
était d'une droiture exceptionnelle, aussi bien avec la science qu'avec
les gens.
Il avait, depuis qu'il était directeur du C.R.G. de Garchy,un côté "
gentleman farmer " : il aurait aimé, m'a t-il dit un soir où l'on se
promenait tous les deux dans les bois du Centre, avoir des cerfs, des
biches et interdire la chasse. Il voulait que son domaine soit beau,
entretenu et fleuri...
Certains pensaient qu'il n'aimait pas les enfants car ceux-ci, turbulents,
courant partout, abîmaient arbres, fleurs et allées ; mais c'était faux,
il aimait les enfants, mais n'en ayant pas eu, il les comprenait difficilement.
Je ne l'ai jamais assez remercié pour tout ce qu'il a fait pour mon
fils lorsqu'il était tout petit. S'il était un père pour moi, il était
un grand-père pour Christian, qui, c'est vrai, était un enfant calme
et respectueux des adultes, ce que devait être tout enfant pour L. Cagniard.
Parmi toutes les choses qu'il a faites pour moi, je citerai qu'il a
été jusqu'à me " prêter " une chambre face à la mienne pour que
je puisse travailler le soir sans gêner l'enfant, ailleurs que dans
ma salle d'eau ou dans le couloir de l'hôtel. Preuve supplémentaire
qu'il aimait les enfants : il a légué son appartement de la rue Vaugirard
à l'oeuvre Sainte-Germaine, qui s'occupe d'enfants handicapés et délaissés.
J'aurais encore des pages et des pages à écrire sur lui: il m'a tant
donné et tant appris.
Annexe 1 - Preuve que L. Cagniard aimait
la nature :
La veille d'une visite de gens importants pour lui, et donc pour le
C.R.G., il est venu me voir à ma cave gravimétrique et il m'a fait remarquer
que l'entrée de celle-ci ressemblait à un tas de pierres. Je lui ai
dit que j'arrangerais cela ... Le lendemain matin, il trouva toutes
les pierres tapissées de mousse, de violettes et de coucous (c'était
le printemps).Son sourire radieux m'a récompensée des "quelques " heures
que j'avais passées à le faire.
Annexe 2 - Travail avec les expéditions polaires :
Pour le premier essai de mesure de profondeur de glace au glacier d'Aletsch,
Monsieur Cagniard avait besoin de deux personnes; j'étais volontaire,
ayant fait de l'alpinisme depuis l'âge de 15 ans avec mon père. Monsieur
Cagniard a voulu voir mon père avant d'accepter que j'y aille... Et
j'y suis allée, mais il était très inquiet pour moi, et comme nous avons
été bloqués au refuge par la tempête, tous les soirs il appelait mon
père pour avoir de nos nouvelles, nouvelles que l'on ne pouvait donner,
bloqués que nous étions à la Jungfrau, à plus de 3500 m d'altitude dans
la station scientifique. Papa et lui devinrent des amis, et moi, grâce
à A. Bauer, des E.P.F., j'ai appris à construire un igloo !
Colette Queille