Souvenirs de Maurice Recq

Souvenirs d'un " client " de Garchy :
J'ai connu le Professeur Cagniard à la fin des années 50 à l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), d'abord en tant qu'étudiant avec certains qui deviendront ses élèves, puis au CEG à Garchy en tant que " client " du Centre. Lorsqu'il a quitté Schlumberger pour devenir Professeur à l'Université de Paris, il assurait le cours de géophysique appliquée qui n'était pas encore un certificat à part entière.
A mon arrivée à l'IPG, j'ignorais tout de Cagniard, en particulier qu'il était un grand nom de la géophysique aussi bien théorique qu'appliquée. Pour un jeune, ce n'était pas a priori un personnage très sympathique, assez autoritaire et qui avait le goût du commandement. Mais cette première mauvaise impression était vite effacée par la qualité de son cours et de ses talents pédagogiques. Son cours était d'une clarté lumineuse et il réalisait l'exploit de nous faire avaler avec une grande facilité des chapitres théoriques sans nous abreuver d'équations différentielles aux dérivées partielles, contrairement à certains de ses collègues de l'Université qui s'en faisaient un plaisir. Cette remarque doit probablement être encore valable aujourd'hui. La rédaction de son cours polycopié était un modèle du genre par son style et sa concision. Je connais des enseignants qui l'utilisaient encore vingt ans (voir plus) plus tard.
Il y avait des domaines communs entre les cours de géophysique générale et ceux de géophysique appliquée. Aux questions de cours du certificat de géophysique générale, il n'était pas rare que les étudiants de l'époque " recrachent " le cours de Cagniard au lieu de celui enseigné par ses collègues de l'IPG. Cela a été vrai pour moi lors d'une question sur le calcul des corrections gravimétriques.
En 1957, Louis Cagniard a été nommé directeur du Centre d'Etudes Géophysiques à Garchy dans la Nièvre, à 10 km de Pouilly-sur-Loire : autrement dit, un trou (sauf pour la vigne). Bien qu'ayant gardé un bureau à Paris, les mauvaises langues ont prétendu que Cagniard avait été envoyé " ronger son os " par ses collègues parisiens de l'IPG pour éloigner une personnalité trop encombrante.
Ce n'est qu'en 1962 que j'ai été envoyé faire le stage de travaux pratiques du certificat de géophysique appliquée à Garchy. Ce stage n'existait pas en 1959. En fait, nous avions eu plus à faire à ses deux assistants de l'époque qu'à lui-même : Colette Queille et Jean-Louis Bureau. Colette et Jean-Louis sont devenus depuis des amis.
De retour à l'IPG à la suite de ce stage, j'ai été renvoyé quelques mois après à Garchy par Madame Labrouste, alors directrice du Laboratoire de Sismologie expérimentale de l'IPG, pour effectuer avec Paul Baltenberger une étude sismique du Val de Loire dans cette région à partir d'enregistrements sismiques de tirs de la carrière de Beffes (Cher) le long de profils rayonnant autour de cette carrière. (Paul Baltenberger dépendait l'IPG, mais il avait la responsabilité de la station sismique permanente de Garchy et il résidait avec sa famille dans un des pavillons du Centre). En plus de l'étude du Val de Loire, avec le Laboratoire de Sismologie expérimentale de l'IPG, nous avions effectué une étude de la structure profonde du Bassin Parisien dans cette région en utilisant les tirs effectués dans d'autres carrières. J'ai donc partagé mon temps pendant plusieurs mois entre Paris et Garchy. Ce n'était pas si désagréable que cela. Fuir les encombrements de Paris (déjà) était bon pour la santé, d'autant plus que j'avais de nombreux amis à Garchy dont je vois encore certains.
Au cours de ces recherches, j'étais plutôt " client " que membre à part entière du Centre. Je n'étais pas élève de Cagniard mais toujours de Madame Labrouste, " Madame ", comme on disait entre nous avec un brin d'ironie.
Cagniard, d'une intelligence diabolique, était un personnage qui m'a toujours impressionné ; cela me rendait mal à l'aise avec lui, d'autant plus que j'étais de l'IPG et que les rapports avec Mme Labrouste étaient parfois orageux : il m'arrivait d'en subir les conséquences. Ceci étant dit, ses rapports avec " Madame " étaient probablement moins mauvais qu'on ne le prétendait. Chacun appréciait les qualités intellectuelles de l'autre. A part aussi quelques accrochages à propos des horaires de cantine ; les horaires assez stricts étaient parfois difficilement compatibles avec le travail de terrain. Je dois reconnaître en toute honnêteté que Cagniard était toujours disposé à nous aider dans ces études du Val-de-Loire et du Bassin Parisien. Il n'a jamais lésiné son assistance en mettant à notre disposition les moyens du Centre et des véhicules avec chauffeur qui nous ont permis de sillonner toute cette région.
J'ai quitté Garchy fin 1963. Mais j'ai eu l'occasion d'y revenir parfois au cours de mon service militaire, après mes classes en Allemagne, détaché à la DRME (Direction des Recherches et Moyens d'Essais) avec mon ami Jacques Roussel pour effectuer quelques profils sismiques en 1964-65.
1965, fin de la période de Garchy. J'y suis retourné de nombreuses fois jusqu'à sa fermeture définitive, mais pour des raisons personnelles uniquement.
L'histoire pourrait s'arrêter là. Je suis entré au CNRS en 1965 en tant qu'attaché de recherche à l'IPG sous la direction de Madame Labrouste, puis de Jean Coulomb. C'est en consultant la bibliographie que je me suis rendu compte de la variété des domaines et des qualités exceptionnelles du travail scientifique de Cagniard qui s'étendait de la théorie des ondes coniques (sa thèse) à l'origine du champ magnétique terrestre, de la magnétotellurique à la gravimétrie, sans oublier un volet industriel (Schlumberger). Mais là, je ne suis pas compétent.
Cagniard n'a pas beaucoup publié. Par le nombre de ses publications, il ne pourrait même pas entrer au CNRS aujourd'hui ! Mais chacune de ses publications était un monument. Ses Notes à l'Académie des Sciences sont d'une grande rigueur associée à un style quasi-littéraire qui en rend très agréable la lecture. Son article sur les fondements de la magnétotellurique publié en 1953 dans la revue " Geophysics " a fait longtemps référence et était toujours cité trente ou quarante ans après.
Remarque : James Watson a partagé le prix Nobel en 1952 (découverte de la structure de l'ADN, la fameuse double hélice) avec deux autres chercheurs de Cambridge. Il n'avait que 32 ans et deux ou trois publications seulement. Toujours à l'Université de Cambridge, un grand théoricien de la propagation des ondes sismiques, Chris Chapman (aujourd'hui chez Schlumberger, toujours à Cambridge) a élaboré dans les années 90 une méthode de calcul de sismogrammes synthétiques à partir des travaux de Maslov, un mathématicien russe du début du XIXème siècle, et de … Cagniard et de sa théorie des ondes coniques. Il y a probablement d'autres exemples.
Il est regrettable que les travaux scientifiques de Cagniard continuent à être plus connus à l'étranger que dans son propre pays.

Maurice Recq

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